La rue habitée à Hanoï, film pour le pavillon français de la 17e Biennale internationale d’architecture de Venise

Répétition dans un bloc opératoire désaffecté, chantier Learning From Florence House, Johannesburg  (photo Christophe Hutin)
Réunion des habitants sous les arbres pour le projet de la cité de Beutre, Mérignac

L’espace comme production sociale

Il ne faut pas attendre qu’un bâtiment soit construit pour en faire l’usage. Lors du chantier Sans Souci à Soweto, nous voulions intégrer les événements artistiques et sociaux dans la réalisation matérielle du cinéma. C’est à dire que le chantier, les spectacles, les projections ou bien les repas étaient tous considérés au même titre comme des moyens d’activation du lieu. Cela signifie que l’usage précède l’espace, il le fabrique. C’est une pure application des thèses défendues en son temps par Henri Lefebvre dans son ouvrage « La production de l’espace ».
On peut se servir du cinéma avant qu’il n’existe. Mais on peut poser le même paradoxe dans le sens inverse, sur la question de l’achèvement d’une architecture. Quand est-ce que le projet est terminé ? La phase de ce premier projet concernait la fabrication des sols, la sécurisation du lieu et surtout son institution sociale. Mais même après cette phase là, le cinéma fonctionne avec les capacités du lieu qui sont celles que notre atelier in situ a produites. L’architecture est un processus de transformations permanentes qui concerne aussi bien les usages, les institutions humaines que les réalisations matérielles. D’autres workshops et d’autres chantiers pourront intervenir dans le futur qui augmenteront les capacités du cinéma et le transformeront selon les pratiques sociales qui y seront engagées. C’est pourquoi nous pensons que tout projet devrait représenter un point de départ autant qu’un point d’arrivée.

En tant que production sociale l’espace et l’architecture peuvent être considérées comme des systèmes de moments. La pensée du sinologue François Jullien peut nous y aider : « Je me garde d’évoquer le temps alors même que je veux penser le changement, parce que je crois que le « temps » est une construction du langage, et particulièrement de la langue européenne, qui pour une large part nous abuse et nous fait dévier d’une logique de processus. La langue chinoise n’a jamais dit le temps sur un mode unitaire et général. Mais d’une part elle dit la saison-moment-occasion (shi) qui par sa variation rythme la vie des choses ; et d’autre part elle dit la « durée » (jiu) qui procède de l’alternance de tels moments et fait couple avec l’espace. »