Maison à Cailhau (photo Christophe Hutin)

La vue, un luxe pour tous (extrait vidéo pour le pavillon français, cas d’étude GHI, Christophe Hutin)

La vue

Voir loin. Pour l’architecte Herman Hertzberger, les lieux confortables respectent souvent le schéma structurel du nid : être suffisamment délimité pour percevoir un intérieur mais suffisamment ouvert sur le lointain pour que l’on puisse se projeter vers l’extérieur. Regarder le paysage depuis son balcon est ainsi pour chacun de nous une certaine puissance de le rejoindre et d’y séjourner confortablement. C’est bien cette hypothèse que formule la savante phénoménologie de Martin Heidegger : “L’être humain n’est pas délimité par la surface de son prétendu corps (Körper). Quand je me tiens ici, alors, en tant qu’être humain, je me tiens seulement ici pour autant que, simultanément, je suis déjà là-bas près de la fenêtre et cela veut dire dehors, dans la rue et dans cette ville, bref dans un monde.” A la lecture de cette réflexion, tout se passe comme si la perception de l’espace nécessitait que celui qui perçoit possède une représentation active du monde dans laquelle il s’inclut lui-même ; une représentation qui, en structurant sa perception, influe sur sa propre capacité à se déplacer. Ici le déplacement n’est pas une simple translation matérielle, euclidienne, d’un point à un autre de l’espace : “Si je me dirige vers la porte, je ne transporte pas mon corps (Körper) vers la porte mais je change mon séjour (Corporer, “leiben”), et la proximité ou l’éloignement selon lesquels les choses se trouvent toujours déjà, l’ampleur ou l’étroitesse au sein desquelles elles apparaissent, se transforme.”
On a raison de considérer certains points de vision sur le paysage comme des composants primaires, actifs et tangibles de l’architecture. Dans le projet de la maison Cailhau, la vue sur les Pyrénées n’est pas un décor d’agrément, elle permet d’habiter concrètement les montagnes, la vue y est donc élément d’architecture. La maison Tabanac organise une manière d’habiter dans les arbres, c’est la vue, largement cadrée sur la frondaison d’une forêt de chêne, qui construit l’intérieur. C’est encore la vue qui confère aux logements des immeubles de grande hauteur du Grand Parc, leur caractère luxueux. Le luxe de l’espace. Il entre en effet dans chacun des appartements ce vaste paysage du centre de la ville avec ses toits luisants, ses monuments dentelés, ses horizons élégants, ses édifices historiques, toute une histoire… Nous ne sommes jamais fatigués de voir loin.