Inachevé - Laisser de l’espace libre
Les architectures ne peuvent pas être réduites à des réceptacles matériels neutres susceptibles de recevoir les différents actes de la vie sociale. C’est la vision fonctionnaliste de l’espace, marquée par des préconceptions euclidiennes, qui le considère comme un contenant séparé de l’usage et de l’action habitante. Mais l’architecture n’est pas une boîte. On sait depuis les analyses pragmatistes ou ethnologiques de l’espace, conduites dans différentes sociétés humaines, que usage et espace forment au contraire un couple dialectique. L’anthropologue Henri Lefebvre a inversé les hiérarchies communément admises lorsqu’il a établi que l’espace humain peut être considéré comme une production directe de l’usage. Le sociologue Bruno Latour montre quand à lui que, dans tout établissement humain, l’ensemble des composants humain et non humains forment un réseau ahiérarchique et dynamique dans lequel chaque élément peut être considéré à la même hauteur, c’est à dire à la fois comme un acteur et comme un réseau. Pour agir en tant qu’architecte dans un tel système complexe en mouvement, l’une des possibilités qui s’offre à nous est celle de l’inachevé. Ne pas tout prescrire dans la construction des lieux, ne pas tout construire, engager des stimulations ponctuelles et toujours maintenir de l’indétermination dans nos projets, voilà quelques pistes pour une attitude de conception soucieuse de soutenir l’action habitante à venir. Elles peuvent parfaitement rejoindre les réflexions sur l’inachevé au cinéma que livrait Abbas Kiarostami : : “Il faut envisager un cinéma inachevé et incomplet pour que le spectateur puisse intervenir et combler les vides”.
Cet inachevé stimulant nous le rencontrons dans tous les projets qui ménagent une place à l’action de ceux qui y vivent. C’est le cas des jardins d’hivers des immeubles GHI au Grand Parc à Bordeaux, ou encore les terrasses de logement en gradin des Hauts Plateaux à Bègles (phase I) qui ménagent un certain inachevé basé sur l’usage des structures capables. Mais on trouvera la même attitude dans le simple refus des faux-plafonds (Centre Archéologique Tournefeuille), le refus des enduits intérieurs (couloirs de L’Estaminet à Uzeste), le refus des plaquages (sol de La Vacherie à Blanquefort)… Travailler dans l’inachevé suppose peut être, dans tout projet, de se poser la question que pose Fukuoka à l’agriculture : “Qu’est-ce que je pourrais ne pas faire ?”.